Un moniteur de canyoning relaxé après l’accident mortel à Trigance l’été dernier

Poursuivi pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, le professionnel assure avoir rempli toutes les conditions pour éviter le drame. Le tribunal l’a entendu.

Un bruit assourdissant. Des eaux tumultueuses. Un courant « très puissant selon le baromètre ». Ce 6 juin 2020, le bas-Jabron, sur la commune de Trigance, est en furie. À la limite du praticable pour les amateurs de canyoning.

À tel point que Kevin A., moniteur d’escalade et de canyoning à la réputation bien établie, décide d’écarter quatre des cinq personnes de son groupe.

« Les conditions étaient trop engagées pour leurs conditions physiques », reconnaît-il à la barre du tribunal correctionnel de Draguignan. Seul Jean-Charles Dupuis, gaillard mais néophyte dans cette pratique, est accepté pour descendre avec lui la rivière sur 200 mètres, au lieu de 700 en temps normal. Mais l’aventure tourne au drame et le touriste ariégeois ne remontera jamais au barrage. Aspiré dans un tourbillon après une chute, son corps sans vie sera retrouvé douze jours plus tard…

Poursuivi pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, Kevin A. assure avoir rempli toutes les conditions pour éviter le drame, même s’il avoue avoir laissé Jean-Charles seul et non attaché le temps d’installer un cordage. « La zone d’attente où je l’ai positionné était très calme, assez large pour accueillir plusieurs personnes et située au-dessus du torrent, assure le moniteur. Je lui avais donné des consignes de sécurité, notamment de ne pas bouger. »

Selon Kevin A., son client n’a pas attendu pour le rejoindre, a glissé puis été emporté par les flots. « Quand je l’ai vu tomber, j’ai sauté pour aller le chercher. Nous avons passé la première cascade et j’ai pu lui donner mon sac à dos pour qu’il s’y accroche. Mais il a disparu après la deuxième chute… »

À cet endroit-là, le débit était si important que même les pompiers du Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux (Grimp) n’ont pas voulu dans un premier temps s’y risquer. « Nous laissons beaucoup de responsabilités au client, poursuit Kevin A. On ne peut pas tout gérer. Les consignes étaient passées, il ne me semblait pas effrayé et était réceptif à ce que je lui disais. » Les images de la GoPro de Jean-Charles, récupérées après l’accident, semblent confirmer ce point.

Mais plusieurs expertises diligentées durant l’enquête vont mettre en exergue la dangerosité des conditions, voire « un défaut déontologique de la pratique » par Kevin A. « Il y a eu un manque flagrant de discernement du moniteur, pointe l’une d’elles, particulièrement à charge. Voire une négligence face au risque possible. Le moniteur a surestimé les moyens physiques du client, commettant une faute professionnelle. »

« Il était sous votre responsabilité, enchaîne Me Isabelle Colombani, intervenant aux intérêts de la compagne de la victime. Les conditions étaient extrêmes et il était débutant. » Sur la même ligne, la procureure Laëtitia Pons requiert 24 mois d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’une interdiction définitive d’exercer.

Une dernière demande aux allures de « suicide professionnel » pour l’avocat de la défense, Me Eric Vezzani. Qui n’arrivera pas, son client étant finalement relaxé au bénéfice du doute. Un doute soulevé lors de sa plaidoirie: « Pour qu’il y ait eu imprudence, il faut une faute caractérisée et un lien de causalité. Mais les rapports à charge sont biaisés, car soit la vidéo Go Pro n’a pas été visionnée, soit parce qu’ils évoquent des conditions dantesques en aval de la chute. Si Jean-Charles Dupuis est tombé, c’est pour d’autres raisons. Il y a eu forcément un comportement actif de la victime dans cette situation, à mettre en rapport avec la dangerosité de l’activité. »

Des arguments juridiques qui ont fait mouche auprès du tribunal. Celui-ci a rendu sa décision sans même visionner les dernières images de Jean-Charles Dupuis…

Source : article réalisé par V.W., publié le 28/09/2021 par Var-matin Voir l’article