Le canyoning interdit le mercredi et les week-ends dans le Verdon, ces gérants de clubs dénoncent un sabotage de leur « gagne-pain » (Carine Bekkache)

Dans les gorges de l’Artuby et du Jabron, la pratique du canyoning est désormais interdite le mercredi et le week-end. Un coup dur pour les prestataires concernés.

« Ceux-là, on ne les avait pas vus venir. » Frédéric Estienne et Florian Fabre détaillent, désabusés, les arrêtés pris en juin dernier par les municipalités de Comps et de Trigance pour réglementer la pratique des activités de loisirs dans les gorges de l’Artuby et du Jabron.

« Désormais, celle-ci n’est autorisée que du 1er juin au 30 septembre, de 9 h à 17h, lundi, mardi, jeudi et vendredi, hors jours fériés et journées de manifestations de pêche à Comps. Et du 1er avril au 30 septembre, de 9 h à 17h, lundi, mardi, jeudi et vendredi pour Trigance. »Un véritable coup de massue pour les gérants respectifs des sociétés Explore Aventure et ô Verdon qui, depuis 3 ans, proposent du canyoning et de la randonnée aquatique sur ce site.

« Ils sabotent notre gagne-pain »

« Nous interdire de travailler le mercredi et le week-end, c’est-à-dire les jours les plus fréquentés, revient à nous priver d’une grosse part de notre chiffre d’affaires. À Trigance, où nous intervenons entre mai et juin, nous ne pourrons plus travailler avec les écoles et les collectivités. À cette période de l’année, c’est le week-end que nous marchons le mieux, pas en semaine. Ces décisions reviennent donc à saboter notre gagne-pain, ni plus ni moins.« 

Frédéric Estienne et Florian Fabre l’ont d’autant plus mauvaise que, pour eux, les arguments avancés par la commune ne sont pas recevables.

« Nous représentons, soi-disant, une gêne pour les baigneurs et les pêcheurs, soupirent-ils. Or les canyons où nous pratiquons sont difficiles d’accès, autant pour les pêcheurs que pour les baigneurs. Chaque saison, on n’en croise même pas une dizaine sur ces sites. Il faut dire, aussi, que nous sommes toujours en décalé par rapport aux touristes, puisque nous sortons en fin de matinée ou d’après-midi.« 

Garde-pêche sur le secteur, Eric Langlois confirme: « Il y a effectivement très peu de baigneurs et de pêcheurs dans ces zones. »

Et Frédéric et Florian le soutiennent: « Nous n’avons jamais gêné qui que ce soit, ce sont de faux arguments.« 

Puis, relisant les arrêtés, ils tiquent sur un passage, commun aux deux textes: « Il est précisé, d’une part, que nous devons nous informer des conditions météorologiques avant sortie et, d’autre part, que nous ne devons ni crier, ni souiller l’eau, ni porter atteinte à la faune et la flore.« 

« L’impression d’être infantilisés »

Des interdictions « infantilisantes » à leurs yeux. « La vigilance par rapport à la météo, ça ne valait pas une précision car c’est la base de notre métier, rappelle Frédéric Estienne. Quant aux cris, s’il y en a, c’est au moment des sauts et dans le canyon, où il n’y a personne.« 

Concernant l’aspect environnemental, Frédéric et Florian mettent en avant l’une des études réalisées par le conseil scientifique du Parc naturel régional du Verdon, qui indique que « le piétinement ne semble pas porter atteinte à la qualité biologique globale des secteurs empruntés« .

À titre d’exemple, le long du couloir Samson, la marche dans l’eau ne représenterait que « 8 % de la surface mouillée investie« .

En ce qui les concerne, Frédéric Estienne et Florian Fabre se défendent: « Dès le départ, nous prévenons les canyoneurs qu’il va falloir nager au maximum. Lorsque c’est possible, nous passons sur le côté, sur un chemin hors de l’eau. Mais quand nous n’avons pas le choix, nous suivons un cheminement commun, en file indienne pour limiter au maximum l’impact. De plus, poursuivent-ils, nous avons dans nos formations des modules sur l’écosystème et l’écologie dans les milieux aquatiques. Nous-mêmes avons mis en place des formations avec le Parc du Verdon, assurées par des intervenants chaque année.« 

« Ni dialogue, ni concertation »

Enfin, l’arrêté municipal de Comps indique que « le stationnement se fera au parking matérialisé avant l’écluse« .

« C’est à n’y rien comprendre, pestent Florian et Frédéric. Au départ, c’est ici que nous nous passions. Il fallait longer une propriété privée, entre la rivière et la bordure du champ, et cela posait problème. Du coup, le maire nous avait demandé de nous garer plus loin, au village. Nous avons joué le jeu, et aujourd’hui nous revenons à la case départ?« 

Les responsables insistent: « Les élus ne semblent pas comprendre que, nous aussi, nous faisons office de tourisme. Nous participons à l’économie locale et, s’il y a un dialogue, nous sommes prêts à faire des efforts. Or ce n’est pas le cas ici. Ni dialogue, ni concertation et rien, non plus, sur les réelles motivations de ces décisions.« 

Pour l’heure, dans l’esprit de Frédéric Estienne et Florian Fabre, l’incompréhension est totale. Et le sentiment d’injustice, bien prégnant.

 

« Il y a des conflits d’usage liés à l’essor de ces activités »

« Je comprends leur réaction, démarre le maire de Comps-sur-Artuby, Alain Barale. Mais au départ, les canyoneurs m’avaient fait savoir qu’ils ne viendraient qu’occasionnellement dans cette zone. Or ce n’est plus le cas. Ils y sont en permanence aujourd’hui.

L’idée est donc d’établir une compatibilité entre les gens qui habitent ici toute l’année, et qui ont aussi leur manière de fonctionner, et ceux qui ne sont présents que l’été. Faire en sorte que tout le monde s’y retrouve. Ce n’est pas évident, mais c’est partout pareil. Ce n’est pas une problématique propre à notre territoire. Et surtout, le but n’est pas de saboter leur gagne-pain. Pas du tout« , se défend le maire, avant de poursuivre: « En juillet-août, il n’y a pas plus de fréquentation le samedi et le dimanche que les autres jours. C’est une question d’organisation.« 

Sur la question du stationnement: « Je leur avais effectivement demandé de se garer en ville, car le champ était à l’époque cultivé. Cette année, je me suis débrouillé pour qu’il soit moissonné et donc accessible durant cette période.« 

In fine, Alain Barale assure « rester ouvert au dialogue« . « Il est vrai que pour eux, il y a un manque à gagner. Je suis prêt à des assouplissements concernant cet arrêté. Qu’ils viennent me voir!« 

Stéphane Laval, le maire de Trigance, explique de son côté: « Cet arrêté, voté unanimement en conseil municipal, fait suite à la demande d’un certain nombre de riverains, qui viennent profiter de la rivière le week-end et voient régulièrement défiler des canyoneurs. Nous avons donc interdit ces activités sur les trois jours où les riverains ont l’habitude de profiter de la rivière pour que tout le monde puisse en profiter. Il ne faut pas occulter les questions environnementales, liées à la surfréquentation et la sécurité. Je rappelle quand même que l’an dernier, nous avons eu un décès. On ne peut pas raisonner uniquement en termes d’économie.« 

Également « ouvert à la discussion« , l’édile ajoute: « Nous ne voulons pas empêcher les gens de travailler, mais nous devons contenter tout le monde. En tant que maire, il est de mon devoir d’arbitrer cette situation.« 

Président du Syndicat interprofessionnel de la montagne, Yannick Vallençant a été alerté par les prestataires.

« J’attends que les regroupements locaux de professionnels fournissent des éléments plus précis sur la nature des préjudices induits par ces arrêtés de limitation. Il me semble difficile d’obtenir une modification des arrêtés avant la fin de la saison, mais nous pouvons nous concerter avec les autorités locales pour voir comment les améliorer. Cette situation me semble surtout problématique au printemps, au canyon de Trigance qui se pratique à cette période-là de l’année. La limitation à des jours où il n’y a pas de fréquentation fait effectivement partie des choses qui mériteraient d’être discutées. À mon sens, c’est moins pénalisant en plein été, car les gens sont en vacances, donc la fréquentation se répartit sur les autres jours.« 

Cela étant, Yannick Vallençant pointe « un problème croissant au niveau national. Il ne faut pas nier qu’il existe des conflits d’usage liés à l’essor de ces activités dans des espaces de pratique par nature limités et fragiles. Il y a une réflexion à mener, que tous les acteurs soient impliqués et conscients du problème.« 

Source : article réalisé par Carine Bekkache publié le 28/07/2021 dans le journal Var-matin. Voir l’article

Arrêté municipal (Trigance) – 21 juin 2021

Resumé

Arrêté permanent réglementant la pratique du canyoning et de l’aqua randonnée dans les gorges du Jabron.
La pratique de la descente de canyon sur la commune de Trigance est autorisée :
– du 1er avril au 30 septembre,
– de 9 h à 17 h, les lundi, mardi, jeudi et vendredi.
La pratique nocturne est interdite.
Il est interdit de souiller l’eau et de porter atteinte à la faune, la flore et au milieu naturel.
Il est obligatoire de respecter l’aire de stationnement prévu à cet effet.
Il est demandé aux pratiquants de ne pas crier et de s’informer des conditions météorologiques avant toutes sorties.
Il est interdit de sauter depuis le pont du village de Trigance sur le RD90.

Remarque

Cet arrêté fait suite à une volonté de la commune :
– de préserver l’écosystème aquatique,
– partager le milieu entre les différentes pratiquant et usager du cours d’eau,
– limiter le nombre d’accidents liés aux chutes de pierres et aux hausses subites du niveau d’eau.

Détails

Date (de mise en place, d’information…) : 21 juin 2021

Arrêté réglementant le canyoning dans les gorges de l'artuby
Mairie de Comps sur Artyby
30JUIN 2021