La croisade d’une mère contre les risques du canyoning (Pierre Prakash)

En 1995, trois adolescents avaient trouvé la mort à la clue du Raton. «Nous étions typiquement la famille parisienne qui part en vacances et prend un guide pour se livrer à des activités ludiques», raconte Tiziana Humler, des larmes dans la voix. 

Le 13 août 1995, cette femme a perdu sa fille Anaïs, 14 ans, lors d’un accident de canyoning dans la clue du Raton, un canyon des Alpes-Maritimes. Deux adolescents de 13 et 15 ans qu’elle avait à sa charge sont morts eux aussi dans l’accident.

Trois ans plus tard, en 1998, elle gagne un procès contre le guide de l’expédition, qui a été condamné en appel à deux ans de prison avec sursis, cinq ans d’interdiction d’exercer et des dommages et intérêts.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais deux mois plus tard, en ouvrant le nouveau guide du Conseil régional sur les activités touristiques de la région, Tiziana Humler retrouve la clue du Raton, citée au même titre que d’autres sites. Elle voit rouge. Le 29 juillet 1998, elle dépose plainte contre X, pour «manquement à une obligation de prudence». Sa plainte vise le maire de la commune de Beuil, et à défaut le préfet. Depuis, «c’est le silence radio», commente son avocat, Christian Boitel.

Réglementation. L’accident qui s’est produit mercredi en Suisse, et qui a coûté la vie à 21 personnes, rappelle à quel point ce sport extrême peut être dangereux, et nécessite une réglementation stricte.

Le département des Alpes-Maritimes, haut lieu du canyoning en France, dispose d’une réglementation plus sévère que les autres, en vertu d’un arrêté préfectoral datant de mars 1997, à la suite, précisément, de l’accident des Humler. La plupart des sites font l’objet de restrictions, notamment en termes d’horaires et de dates, et une vingtaine sont carrément interdits de canyoning. Bizarrement, la clue du Raton ne fait pas partie de cette liste noire, bien qu’il s’agisse du canyon le plus meurtrier de ces dernières années. Sept personnes, dont un guide, y ont laissé leur vie depuis 1990. «On ne ferme pas un canyon en fonction du nombre d’accidents qui y ont lieu, répond la direction départementale de la Jeunesse et des Sports, celui-ci n’est pas plus dangereux que les autres.» Ce site est toutefois à l’origine d’une modification de l’arrêté préfectoral qui précise que «tout groupe ne peut excéder huit personnes, à l’exception du Raton où l’effectif maximum est réduit à six personnes». L’entrée dans la gorge doit se faire «une heure après le lever du jour, et en tout état de cause avant dix heures», et la sortie «avant 17 heures». Les brusques montées d’eau, dues aux orages, ont lieu en fin d’après-midi. Météo-France estime que 17 heures «est déjà tard. Pour bien faire, il faudrait évacuer vers 14 heures», la plupart des victimes ayant été surprises plus tôt.

Pluie. «Nous sommes partis vers 9 heures et avons déjeuné à l’entrée du Raton. Nous n’y sommes rentrés qu’en début d’après-midi, et il s’est rapidement mis à pleuvoir. Plutôt que de rebrousser chemin, nous avons décidé d’aller jusqu’à la première échappatoire. La catastrophe a eu lieu vers 16 heures 30», se souvient Tiziana Humler. Pourtant, à l’époque déjà, un arrêté municipal recommandait de ne pas s’engager par temps de pluie. Lors du procès, le guide a dit ne pas connaître cet arrêté, qui n’était affiché qu’en mairie. Il a dit ne pas savoir non plus que trois personnes étaient mortes au Raton en 1990.

«Si nous avions su cela, nous n’aurions jamais emmené les enfants», s’insurge Tiziana Humler. «Nous n’avions absolument pas conscience des dangers que pouvait représenter le canyoning. Pour nous, c’était un sport ludique tout à fait accessible.» Défaut d’affichage. L’objet de sa plainte est double: elle dénonce la réglementation trop vague à l’époque de l’accident, et le fait que l’arrêté municipal n’était pas affiché à l’entrée du canyon. Depuis, l’arrêté préfectoral est systématiquement placardé. Ce qui n’a pas empêché une autre mort en août 1996. «Si beaucoup de crues sont prévisibles, il est impossible de garantir une sécurité totale dans ce domaine», précisait la Fédération française de la montagne et de l’escalade à la suite de l’accident en Suisse.

Selon l’instruction interministérielle sur l’encadrement et la pratique du canyoning du 22 juin 1998, qui fait force de loi, les guides doivent disposer d’un brevet d’Etat de spéléologie, d’escalade ou d’alpinisme, pour lesquels une formation canyoning est obligatoire. Une fois recensés à la préfecture, ils peuvent encadrer des groupes inexpérimentés. Ce que Tiziana Humler conteste: «On ne se rend pas compte à quel point ce sport est dangereux. Je peux comprendre qu’il soit autorisé pour des gens passionnés qui ont un brevet et peuvent juger des dangers, mais il est inacceptable que des touristes puissent le faire sans aucune expérience, même avec un guide hyper qualifié.» Si sa plainte aboutit, elle compte utiliser la jurisprudence pour tenter de convaincre le ministère de la Jeunesse et des Sports de durcir la réglementation en matière de sports extrêmes.

Source : article réalisé le 30 juillet 1999 par Libération Voir l’article réalisé par Pierre PRAKASH et publié par Libération le 30/07/1999