Responsabilité des cadres bénévoles (Olivier de LA ROBERTIE-FFCAM)

Les associations familières de la montagne ne peuvent considérer sans réagir la croissance des accidents de montagne. En effet, selon les sources de la sécurité civile, si le nombre de tués tant en haute montagne qu’en moyenne montagne est stable depuis 10 ans, par contre le nombre de blessés est en très forte augmentation (450 blessés en 1983 pour plus de 700 en 1993 et moins de 100 blessés en 1983 en moyenne montagne pour plus de 360 blessés en moyenne montagne en 1993).

La montagne étant objectivement une source de dangers et la seule augmentation de la fréquentation entraînant une augmentation de la fréquence des accidents corporels, dont certains d’une gravité extrême, le rôle des associations sportives proches de la montagne est d’étudier les meilleures conditions de leur pratique bénévole pour maîtriser au mieux les sources de risque, l’objectif idéal étant de limiter l’accident aux cas purement fortuits.

En d’autres termes, l’orientation majeure doit être de réduire le risque de l’erreur humaine. Tout d’abord, on observera que la loi du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives “reconnaît aux mouvements sportifs constitués des associations et des fédérations sportives” un rôle dans le développement des activités physiques et sportives et par là même encourage l’exercice du bénévolat, facteur essentiel de la vie associative. Aussi, convient-il de définir le bénévolat avant d’examiner les conditions de la responsabilité civile du cadre bénévole.

1 – LE BENEVOLAT

Le bénévole est a priori celui qui joue un rôle sans rémunération dans le cadre d’une association. En matière d’activité sportive, l’article 43 de la loi du 16 juillet 1984 qualifie même de faute pénale le fait de dispenser contre rémunération des activités physiques et sportives sans être titulaire d’un diplôme d’Etat. Autrement dit, s’il n’est certes pas interdit à un guide ou un aspirant guide ou encore un moniteur de ski d’exercer une activité bénévole au profit d’une association, hors ces cas d’exception, toute association au caractère strictement bénévole doit recourir à un encadrement bénévole non diplômé d’Etat pour exercer ses activités. Cette situation a conduit à la création de diplômes fédéraux permettant de contrôler la qualification sportive de l’encadrement bénévole. Les comités sportifs dispensant la formation FFME (alpinisme, escalade, randonnée montagne, ski alpinisme) permettent à tout cadre bénévole associatif d’obtenir une reconnaissance de ses qualités techniques et pédagogiques par un diplôme adapté. On se permettra ici d’observer que les brevets et diplômes d’Etat, spécialement celui du guide de haute montagne, permettent à leur titulaire toutes sortes d’activités de montagne, alors que les diplômes fédéraux sont techniquement spécialisés, contrepartie nécessaire à un encadrement bénévole dans la plupart des cas. En cas d’accident, les Tribunaux prennent de plus en plus en considération le fait pour le responsable d’un groupe d’être titulaire de tel ou tel brevet.

1 – Le bénévole

On l’a vu, le bénévole est celui qui participe au fonctionnement ou à l’animation de l’association sans contrepartie. Si le critère premier est certainement l’absence de rémunération, il faut également constater une absence de lien de subordination. Ce lien de subordination se caractérise par une soumission à des directives ou à un service organisé, à des contrôles, voire par le profit retiré par l’association de l’activité de son encadrement. La terminologie d’absence de contrepartie implique également l’absence d’avantages en nature tels que hébergement, repas…

L’appréciation combinée des deux critères (lien de subordination et contrepartie) peut conduire une juridiction à reconnaître l’existence d’un contrat de travail, là où les parties ne voyaient qu’une activité bénévole.

L’intérêt n’est pas neutre en matière de législation d’accident du travail, ainsi que dans le domaine de l’assujettissement aux cotisations URSSAF.

Toutefois, l’intérêt en matière d’accident du travail est aujourd’hui moindre, dès lors que la jurisprudence reconnaît au bénévole en cas d’accident, d’exercer un recours contre l’association sur le fondement de la théorie dite de la convention d’assistance, pour la couverture de laquelle l’association doit être couverte par une assurance adaptée.

II – LA RESPONSABILITE CIVILE DES CADRES BENEVOLES DU MILIEU

ASSOCIATIF (texte de l’intervention de l’auteur au colloque CAF du 20 mai 1995) La responsabilité civile est l’obligation de réparer le dommage que l’on a causé à autrui. La pratique d’une activité sportive à risque génère par nature la réalisation de ce risque dans de multiples circonstances. La question posée est donc de connaître les conditions auxquelles le cadre bénévole peut être déclaré responsable, c’est-à-dire tenu à indemniser la victime ou ses ayants-droit. La preuve d’une faute de sa part est-elle nécessaire ? Etant immédiatement précisé que s’agissant uniquement de responsabilité civile, la réalisation du risque qui conduit à la reconnaissance de responsabilité du cadre bénévole ou de l’association est couverte par une assurance, généralement l’assurance de groupe souscrite notamment à cet effet par l’association. Autrement dit, la question posée est double.

* Quelles sont les conditions de la responsabilité civile ? (I)

* Comment s’organise la répartition éventuelle des responsabilités entre l’encadrement bénévole et l’association dont il dépend ? (II)

Au préalable, on posera le postulat que, s’agissant d’activités à risques, le débat est celui de la sécurité. En la matière, le concept de responsabilité est indissociable de celui de sécurité. C’est pourquoi, les statuts de la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) prévoient : article 1-7 : …”d’encourager la recherche du maximum de sécurité dans la pratique de ces disciplines…”. Le sujet exclut :

– La responsabilité civile des pratiquants entre eux.

– Le recours du bénévole contre “son” association (la convention d’assistance – 1 mot de synthèse).

– La responsabilité civile des fabricants de matériel, des poseurs et ouvreurs etc…

Deux questions importantes :

– L’illusion de l’exonération de responsabilité (III).

– La définition de l’obligation de sécurité (IV).

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I. Les conditions de la responsabilité civile.

Il existe deux types différents de responsabilité civile :

a) La responsabilité contractuelle

b) La responsabilité délictuelle

Les deux régimes de responsabilité obéissent à des règles différentes (durée de prescription, règlesde compétences, clauses limitatives de responsabilités, et surtout exigence d’une faute contractuelle

– manquement à une obligation née du contrat- dans un cas et de toute faute civile dans l’autre).

Mais en matière d’accidents corporels, et dans un compréhensible souci d’indemnisation des victimes d’accidents corporels, les Tribunaux soumettent les deux régimes à une même analyse de la notion de faute, ce qui signifie en clair que le fondement de la responsabilité de l’auteur d’une“faute” est quasiment identique au plan contractuel ou au plan délictuel. La différence se situe essentiellement au plan du langage juridique : En droit de la responsabilité civile contractuelle, on retiendra le manquement à l’obligation de sécurité, et l’on s’interrogera sur sa nature (obligation de résultat ou obligation de moyen). En droit de responsabilité délictuelle, on admettra comme faute causale tout fait volontaire (y compris l’abstention ou négligence) ayant eu un rôle dans la survenance du dommage, que n’aurait pas commis, dans des circonstances analogues, le ‘bonus pater familia”, c’est-à-dire un pratiquant de l’activité en question normalement diligent.

A – La responsabilité contractuelle (articles 1147 et s. du Code Civil)

Elle oblige à réparation celui qui, dans l’exécution d’un contrat, commet une faute, dite contractuelle, causant un préjudice à la personne contractante. Exemples : – Relation guide/client (louage d’ouvrage)

– Association et participants à des activités payantes (contrat d’organisation)

(La responsabilité devient délictuelle selon la majorité des auteurs si la prestation est gratuite (in JCL Civil, art. 1146 à 1155, Fasc. 16-1 n°38) ). Traditionnellement, les juristes divisent les obligations contractuelles en obligation de résultat et obligation de moyens, selon la part d’autonomie dont dispose le cocontractant à l’égard de l’obligation particulière. L’enjeu est que la faute contractuelle repose exclusivement sur la violation du contrat. Il n’y a pas obligation de réparer le dommage, si la victime ne prouve pas la violation d’une obligation prévue, même implicitement, par le contrat. Or, s’il s’agit de la violation de l’obligation de résultat, la preuve de la faute n’a pas à être faite : elle résulte du dommage !

Par contre, le manquement à l’obligation de moyen implique de rapporter la preuve de la faute commise dans l’exécution de l’obligation. En matière de sécurité des personnes, une question importante est de savoir s’il existe une “obligation de sécurité” et dans l’affirmative, comment on peut la définir et comment elle s’articule hors de la responsabilité contractuelle. On verra plus loin ce qu’il en est exactement.

B – La responsabilité délictuelle (articles 1382 et s. du Code Civil)

Par défaut, c’est le régime mis en oeuvre en l’absence de relations contractuelles… et dans les rapports nés de prestations bénévoles. Les conditions sont la faute, le préjudice et le lien de causalité direct. Les trois éléments doivent être prouvés. Il existe également deux sous-groupes de régimes de responsabilité délictuelle assez particuliers :

La responsabilité “du fait des choses” que l’on a sous sa garde et la responsabilité du fait d’autrui. Le premier sous-groupe a trouvé à s’appliquer à plusieurs reprises dans les activités de montagne. L’affaire la plus connue étant celle de l’alpiniste qui, manipulant sa corde sans aucune faute particulière, a fait chuter une pierre sur un grimpeur en contrebas, et a été jugé responsable en sa qualité de gardien de sa corde (Aix en Provence, 8/05/1981). On imaginera toutes sortes de situations nées de la perte de contrôle d’une chose que l’on a sous sa garde en montagne (chute du piolet, de crampons, coinceurs…). Le régime de la responsabilité du fait d’autrui concerne le cadre bénévole de l’association, dont la responsabilité civile serait engagée par un membre du groupe qu’il encadre. Dès lors qu’il agit dans le cadre d’une activité et des directives de l’association, le responsable bénévole est assimilé à un préposé au sens de l’article 1384 al. 4 du Code Civil, et ce, afin de permettre à la victime d’agir en réparation directement contre l’association pour la faute commise par le responsable bénévole.

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II – La répartition éventuelle de la responsabilité civile entre le cadre bénévole et l’association

A) La responsabilité principale de l’association

On l’a vu, le responsable bénévole doit être assimilé à un préposé de l’association, dès lors “qu’il exécute des instructions en vue de l’accomplissement d’une tâche déterminée d’où est résulté le dommage” (in Brichet, “Association et syndicats” p. 226). Ce postulat permet à la victime d’exercer directement l’action en indemnisation contre l’association en se fondant sur le principe posé par l’article 1384 al. 4 du Code Civil, sur la responsabilité du commettant du fait du préposé. Cette responsabilité de l’association est quasiment absolue au sens où elle ne peut pas s’en exonérer en apportant la preuve qu’elle n’a pas commis de faute. La seule exception serait l’hypothèse où le cadre se serait placé “hors des fonctions auxquelles il est employé en agissant sans autorisation à des fins étrangères à ses attributions” (formule de l’Ass. plénière de la Cour de Cass. du 17 juin 1983, Bull. N°8).

B) La responsabilité résiduelle du cadre bénévole

Au plan de la responsabilité civile, dont le seul objet est de permettre la réparation d’un dommage, et non de sanctionner un comportement, la question sous-entend la réponse. Le système juridique doit, pour permettre la meilleure efficacité en matière d’indemnisation, conduire à la responsabilité de l’organisation dont dépend le cadre. Autrement dit, on vient de le voir, l’association doit répondre envers les victimes des fautes commises par son encadrement, que les victimes soient des tiers ou des adhérents de l’association. Certes, l’action judiciaire sera souvent exercée à la fois contre le cadre supposé fautif et l’association sous l’autorité de laquelle il exerce une responsabilité.

La demande d’indemnisation sera même formée solidairement contre les deux, à charge pour les Juges de diviser s’il y a lieu le poids de la dette de réparation entre l’association et son cadre, notamment dans l’hypothèse où ce dernier aurait commis une faute que l’on suppose particulièrement claire et grave. La responsabilité du responsable envers l’association étant alors de nature délictuelle si le dommage ne résulte pas de la violation d’une obligation définie par les statuts. En sorte que la question n’est pas tant de savoir si l’association doit répondre des fautes de son encadrement, la réponse est positive dans pratiquement tous les cas de figure, que de savoir si l’encadrement peut encourir une part de responsabilité personnelle en cas de demande de condamnation “in solidum”. Ce qui revient à poser la question de savoir si le cadre peut être responsable vis à vis de l’association, celle-ci faisant son affaire de l’indemnisation de la victime. Au strict plan de l’orthodoxie juridique, on ne voit pas vraiment l’obstacle à une telle réclamation de l’association contre l’un de ses cadres bénévoles, dès lors que :

1° La victime est intégralement indemnisée par l’association (en réalité par son assurance), laquelle dispose d’un recours subrogatoire contre l’auteur du dommage,

2° Le responsable a commis une faute qui a causé le dommage. Ce principe restera néanmoins inapplicable dans la plupart des cas pour les raisons suivantes :

– L’association a généralement une dette de reconnaissance envers son responsable bénévole qui lui consacre son temps et son énergie depuis des années, qui lui permet d’exister !

– L’assurance responsabilité civile du responsable est généralement intégrée à celle souscrite par l’association, en sorte que l’action en réparation n’aurait guère de sens.

La discussion sur la responsabilité est incomplète si l’on n’intègre pas les deux sujets suivants, aussi fondamentaux que méconnus, qui, faute de temps, ne seront sans doute pas exposés ce matin, mais pourront être l’objet de discussions dans le cadre des ateliers de cet après-midi :

* Peut-on s’exonérer de sa responsabilité civile ? (III)

* Qu’entend-on par “obligation et sécurité” ? (IV)

III – L’illusion de l’exonération de responsabilité

Lorsqu’il est confronté à une demande judiciaire d’indemnisation, l’organisateur de l’activité a un réflexe de rejet… Il convient donc d’examiner les moyens “habituels”présentés en défense, qui se caractérisent par une impuissance à produire les effets espérés. On indiquera immédiatement que le cas de force majeure – dit aussi cas fortuit – est exonératoire de responsabilité, au plan délictuel comme au plan contractuel. Il est utile de préciser que pour recevoir cette qualification tout à fait exceptionnelle, l’évènement doit être : extérieur, irrésistible et imprévisible…

A) La théorie du risque

Il est très fréquemment allégué, dans le domaine de la responsabilité du sport, que la victime “aurait accepté les risques présentés par l’activité”. Cette théorie, pourtant communément défendue, est strictement cantonnée aux cas où la victime a accepté sciemment de courir des risques exceptionnels. L’adhérent qui participe à une activité sportive à risque n’accepte par hypothèse de courir que les risques normaux que présente ladite activité. Ce sont les seuls risques que celui dont la responsabilité est recherchée peut mettre en avant pour échapper à sa responsabilité.

Par contre, les risques anormaux sont toujours couverts et les organisateurs et autres responsables d’un dommage ne sauraient valablement s’exonérer de leur responsabilité en prétendant que la victime les a acceptés ! Sauf bien sûr faute de celle-ci. Comme l’a énoncé la Cour d’Appel de Paris

“L’acceptation d’un risque par la victime ne peut être invoquée que si “le risque est tel que l’acceptation par la victime constitue une erreur de conduite équivalent à une faute” (CA Paris, 30 janvier 1985). Ainsi, l’organisateur d’une activité sportive ne peut faire état de l’acceptation des risques que si elle constitue une faute (Civ. 1ère, 4 mars 1980, Bull n°77).

En résumé, si le risque est normal, la victime n’a pu commettre la faute en l’acceptant et si le risque est anormal, c’est que soit la victime en ignorait l’existence ou la portée (faute de conseil de l’organisateur), soit que la victime l’a accepté en commettant une faute, engageant alors sa propre responsabilité. Ainsi, l’alpiniste confirmé qui part trop tard du refuge pour une voie glaciaire commet une faute et accepte un risque anormal de chutes de pierres provoquées par le réchauffement de la neige. On peut, bien sûr, s’interroger sur ce que recouvre la notion de “risque anormal”, s’agissant de disciplines générant objectivement des risques importants… Il n’y a pas de règles en la matière, mais l’on pourra utilement réfléchir à cette question :

– Qu’est-ce qu’un risque normal ?

– Quels sont les risques normaux propres à chaque activité ?

B – Portée des directives officielles

De même un organisateur ne peut s’exonérer en invoquant avoir suivi un règlement quelconque : en effet, ce dernier est soumis au contrôle des juges qui peuvent le considérer comme insuffisant quant à l’obligation de prudence et de diligence (Civ. 2ème, 278 juin 1967 ; GP 1968, II, 245) Cette idée nous semble transposable dans une certaine mesure dans les rapports entre les responsables du groupe et l’association.

C – Clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité

Dans le cadre d’une action contractuelle, l’association sera tentée d’invoquer le bénéfice d’une clause limitative ou exonératoire de responsabilité ; cette clause est parfois insérée dans les statuts ou dans une documentation contractuelle plus spécifique. Elle est réputée acceptée par le sociétaire en adhérant au groupement ou en signant sans réserve un document contractuel (TGI Seine, 27 janvier 1962, D. 1962, som. 65 ; Cass. req. 31 mai 1938 : DH 1938 451). Toutefois, non seulement le jeu de cette clause est exclu en cas de faute dolosive ou de faute lourde assimilable au dol, mais surtout, elle semble inopérante en cas d’atteinte à l’intégrité corporelle. Certes, la Cour de Cassation adopterait sur ce point une position réservée (voir Cass. Civ. 1ère Ch, 3 juin 1970 : D. 1971, II, 373, note P. Chauveau), mais il n’est pas déraisonnable de considérer qu’en matière d’accident corporel, on doit se référer à la règle dégagée en 1984 dans un autre domaine :

“En raison du caractère essentiel de l’obligation inexécutée et de la gravité des conséquences possibles du manquement constaté, celui-ci s’analyse en un faute lourde faisant obstacle à l’application de la clause exonératoire de responsabilité” (Civ. 1ère, 18 janvier 1984, JCP 85 II 20372 – exemple des relations banque/client Civ. 1er 15 novembre 1988, D. 1989,349).

Le caractère essentiel de l’obligation de sécurité nous conduit à rejeter la validité de la clause exonératoire. Pour ce qui est de la clause seulement limitative de responsabilité, et à supposer que le plafond d’indemnisation soit suffisamment élevé, on peut en admettre la validité de principe.

D – La faute de la victime

L’organisateur peut tenter de limiter voire d’écarter sa responsabilité en invoquant une faute de la victime. Ainsi jugé pour des sportifs :

– ayant volontairement désobéi aux directives reçues (T. Civ. Seine, 22 octobre 1954 : GP 1955, I, 221),

– ayant transgressé les règles du Code de la route sur un parcours non interdit à la circulation (CA Poitiers, 16 mai 1984 : D. 195, IR, 143, obs. Fr. Alaphilippe),

– ayant refusé de suivre les conseils prodigués par l’association (TGI Seine, 21 avril 1966 : JCP 1966, IV, 176).

Jugé en revanche qu’un joueur de tennis ne commet aucune faute en se reculant quelque peu pour rattraper la balle alors que, jouant dans un local exigu, les limites du court n’étaient pas matérialisées (CA Aix-en-Provence, 6 février 1980 : D. 1982, IR 91, obs. Fr. Alaphilippe et J-P Karaquillo). On observera que cette faute de la victime n’est pas éloignée de l’idée du risque anormal volontairement pris par elle. Les Tribunaux procéderont à un partage de responsabilité en cas de concours de fautes causales, voire exonéreront l’organisation si la victime a commis seule la faute ayant causé son dommage.

IV – La définition de l’obligation de sécurité

La loi ne définit pas l’obligation de sécurité, et, évidemment, un contrat serait impuissant à en supprimer l’existence ou à la cantonner à tel ou tel domaine. Ce sont les Tribunaux qui, au cas par cas, après audition d’experts, généralement officiers du PGHM ou professeurs de l’ENSA, définissent les contours de l’obligation de sécurité. Ce qui signifie que si une association et son encadrement (terme englobant les sections autonomes) respectent exactement les règles de l’art de la technique de référence (randonnée, escalade rocheuse, escalade glaciaire, ski alpinisme, etc…), telles que les Juges les définissent, les cas de responsabilité doivent devenir exceptionnels. Ils devraient même être réduits aux cas rarissimes mettant en cause une divergence raisonnable d’appréciation entre praticiens sur le contenu des règles de l’art. Toutes les obligations qui vont être énoncées ci-après reposent donc sur un seul et unique principe :

Le professionnel, c’est-à-dire l’organisateur, le guide, le cadre bénévole responsable d’un groupe ou d’une cordée etc…) doit prendre toutes “les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des clients en fonction de leurs aptitudes, des conditions atmosphériques, de la nature du terrain…” (CA de Paris, 26 février 1982, CAILLARD/RENOUVEAU et UCPA). Qu’est-ce que cela recouvre exactement ?

Au préalable, on posera à titre de postulat que la nature de la relation entre le pratiquant (client, adhérent, etc…) et l’organisateur et/ou l’encadrement devrait être indifférente à l’analyse du sujet. La relation marchande n’implique pas une obligation de sécurité renforcée, et inversement le bénévolat ne fait évidemment pas diminuer le poids de cette obligation. Elle doit être en tous points identique. Au vu des décisions rendues, pas seulement dans les domaines sportifs que connaît le CAF, on peut identifier cinq sortes d’obligations très différentes sous l’appellation générique d’obligation de sécurité, étant précisé que de mon point de vue, il s’agit d’un recensement des règles de l’art, en sorte que leur violation constitue indistinctement une faute délictuelle ou une faute contractuelle selon les hypothèses.

2) Le contenu de l’obligation de sécurité

A) Vérification préalable des aptitudes

B) Fournir un responsable expérimenté

C) Le responsable doit conseiller et surveiller utilement sa cordée

D) L’encadrement doit être en nombre suffisant

E) Le comportement en cas d’accident.

A) Vérification préalable des aptitudes

L’organisation et/ou le responsable de chaque sortie doivent contrôler les aptitudes des adhérents et spécialement l’adaptation de leur niveau annoncé par rapport à celui requis par la sortie. Une insuffisance du contrôle des capacités physiques et aptitudes générales dans le domaine considéré serait une faute.

Exemples : la voie choisie par le professionnel (guide, moniteur, etc…) est trop difficile pour stagiaire, client, et où celui-ci subi un dommage lors d’un vol ou d’une chute (ex : pour une ascension glaciaire : CA CHAMBERY, 24 février 1977, Gaz. Pal. 1978, 1, 50, note W. RABINOVITCH, arrêt confirmé par la Cour de Cassation, Crim. 29 septembre 1979, Gaz. Pal. 1980, note BARRAS). La seule question vraiment litigieuse est celle du “mensonge” grave commis par l’adhérent sur ses compétences techniques, son passé sportif… On pourra dans ce cas discuter à l’infini du point de savoir si les circonstances de l’espèce autorisaient le responsable à dispenser l’adhérent de tout “préalable réel”…

B) Fournir un responsable expérimenté

La Cour de Cassation a posé le principe – évident – selon lequel l’Association sportive doit fournir aux stagiaires etc… un moniteur expérimenté, c’est-à-dire rompu aux contraintes très particulières qu’entraîne l’escalade ou l’alpinisme (Civ. 1ère, 8 mai 1967, Ass. des Chalets Internationaux de Haute Montagne c/Philippe, Bull n°159, p. 116). Si la question ne se pose pas lorsqu’un alpiniste s’adresse à un Bureau des Guides ou directement à un guide, que l’on présumera compétent, elle se pose au contraire avec acuité lorsque l’escalade ou l’alpinisme est pratiqué dans le cadre de stages ou de sorties organisées pas une association telle que le CAF. L’expérience implique-t-elle nécessairement un diplôme ?

Au strict plan des règles juridiques, un diplôme de qualification (brevet d’Etat, brevet militaire ou diplôme fédéral), n’est pas obligatoire pour les activités d’encadrement bénévole.

Toutefois, cette situation pose une question particulièrement importante qui est d’ailleurs abordée indirectement mais de façon récurrente par les Tribunaux saisis d’affaires de responsabilité : Pour les Tribunaux il est assez clair que dès lors qu’il existe des formations techniques sanctionnées par des diplômes (pour les activités bénévoles on évoquera essentiellement les brevets fédéraux), il est “incompréhensible” que des responsables de groupe soient démunis de ces diplômes.

Selon les circonstances d’un accident, un Tribunal sera prompt à voir dans cette absence de diplôme une présomption d’insuffisance technique ou pédagogique (pourquoi ce responsable, mis en cause dans un accident, ne détient-il pas le brevet correspondant à sa discipline ?). Plus encore, le Tribunal verra même sans doute une faute de l’association qui n’a pas contraint son encadrement à obtenir les brevets. Cette faute ne sera pas nécessairement celle qui aura causé le dommage, mais elle fera peser sur le cadre et sur l’association une très lourde présomption de manquement aux règles de sécurité envisagées sous l’angle de la formation technique.

Un diplôme permettant l’encadrement de telle ou telle activité sanctionne tout d’abord des qualifications techniques et sportives. Mais il est aussi un moyen de vérifier sur le terrain les aptitudes pédagogiques et psychologiques d’un postulant à l’encadrement. Le diplôme est en substance une sorte de “garantie” de compétence du cadre en matière de sécurité. La liste de course ou l’ancienneté d’une pratique constitue une présomption plus faible de la compétence globalement requise. En sorte que les associations sportives devraient de façon prioritaire exiger de leur encadrement bénévole qu’il accepte de suivre les stages de formation fédéraux et d’obtenir le diplôme correspondant à son activité. Ce n’est pas tout. Car il faut – c’est évident – que cette compétence technique se maintienne en permanence à un niveau très supérieur au niveau moyen du groupe encadré. Ce qui implique un entraînement  continu et un suivi périodique de niveau à la charge de l’organisateur.

C) Le responsable doit conseiller et surveiller utilement sa cordée

L’obligation de sécurité mise à la charge du professionnel entraîne nécessairement l’obligation de “fournir à son client les conseils, les indications et l’assistance propres à assurer sa sécurité” (CA CHAMBERY, 20 janvier 1976, D. 1977, p. 209, note RABINOVITCH). Cette obligation pèse de la même façon sur le responsable en charge d’un groupe qu’il doit initier ou perfectionner. Car même si la responsabilité encourue n’est pas “contractuelle”, le Juge sera prompt, en cas d’accident corporel grave, à considérer comme une faute tout manquement à cet ensemble de règles de sécurité. Le responsable, bénévole ou non, doit ainsi, et en tout état de cause, attirer l’attention des grimpeurs novices qui évoluent sous sa responsabilité sur les risques présentés par telle voie (pierres, exposition, difficulté, etc…) et leur donner les consignes de sécurité (ex : en matière de leçons de tennis données à des novices, Civ. 2ème, 20 juin 1984, Bull n° 112, p. 79 ; et en matière de leçon d’équitation dispensée au débutant, Civ. 1ère, 22 mars 1983, Bull. n° 106, p. 93).

Le responsable doit également enseigner le savoir-faire technique, par exemple, en matière d’escalade :

– Savoir s’encorder correctement,

– savoir assurer son partenaire et réagir utilement en cas de vol, tant de premier de cordée, que de soi-même,

– ne pas laisser de mou au second de cordée,

– être toujours encordé, sinon être “vaché”,

– porter toujours un casque en montagne et dans certaines falaises,

– savoir placer mousquetons, dégaines, sangles, etc… voire coinceurs et friends,

– s’abstenir de toucher des pierres jonchant le sol en haut des falaises, sur les vires en

montagnes, etc…

Le talent pédagogique est ici une exigence de sécurité ! Et pour des cordées composées de débutants, le responsable doit vérifier constamment que les grimpeurs respectent ces règles impératives de sécurité, que les noeuds sont conformes, etc… On parle même d’un “devoir de protection” (TGI d’ALBERTVILLE, 4 décembre 1981  DERRODE/DEHEURLES) et d’un “devoir exceptionnel” de surveillance à l’égard des novices et des enfants (in JCL Civ. , articles 1382 à 1386, Fasc. 450-3, n° 82). Par contre, cette obligation de conseil paraît s’atténuer lorsque le moniteur est accompagné de sportifs confirmés (Civ. 1ère, 13 octobre 1981, Gaz. Pal. 1982, 1. par. 127). Disons que l’obligation de conseil doit s’adapter à la compétence des sportifs en question.

D) L’encadrement doit être en nombre suffisant

Un responsable du groupe grimpant en tête avec le second qui débute dans une voie AD, pas de problème. Un responsable grimpant sur une autre cordée, et surveillant “de loin” les autres participants débutants dont l’un progresse en tête dans la même voie AD … Attention ! Par exemple, la Cour de Paris a jugé qu’en matière de ski, la présence d’une seule monitrice pour 24 participants était insuffisante pour assurer la sécurité du groupe (CA Paris, 3 février 1982, Club Méditerranée C/BLESSIS CARREL). Il est certain qu’en matière d’escalade, surtout avec des débutants, il faut un grimpeur expérimenté en tête de chaque cordée. Quant à l’initiation à l’escalade en tête, elle implique un examen réel des qualités du terrain, de l’assurage en place, de la psychologie des participants… Ainsi, la Cour de Paris a condamné l’UCPA pour avoir laissé assurer la victime par un premier de cordée “dont les aptitudes physiques et techniques se sont montrées insuffisantes”. Il aurait dû y avoir un grimpeur confirmé en tête (arrêt précipité, CA Paris, 17 juin 1987).

E) Comportement en cas d’accident

Il est évident que le responsable de la cordée doit en cas d’accident dispenser les premiers soins élémentaires (immobilisation d’un membre fracturé, descente du blessé, etc…) et prévenir immédiatement les pompiers, SAMU, médecin, etc…, selon l’endroit où l’escalade se déroule.

On insistera sur la nécessité pour un groupe d’être doté d’un appareil léger de transmission permettant de communiquer avec les gendarmes ou les pompiers..

La question s’est posée de savoir si, dans l’hypothèse où l’accident est dû au comportement d’un tiers (ex : grimpeur évoluant en amont, promeneurs ou enfants en haut de la falaise et faisant tomber des pierres…), le responsable de la cordée doit tout mettre en oeuvre pour identifier l’auteur du dommage.

La Cour de Paris a, dans une espèce où un client du Club Méditerranée avait été blessé à l’occasion d’un leçon de ski, jugé que le moniteur avait l’obligation de relever l’identité du tiers responsable (CA Paris, 27 avril 1974, SOULARD/CLUB MEDITERRANEE).

Dans une autre affaire identique opposant le CLUB MEDITERRANEE à un de ses clients, la Cour Suprême a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel rendu comme ci-dessus, en énonçant que le CLUB MEDITERRANEE ne pouvait pas supporter la réparation totale du dommage subi en raison de la collision puisque le préjudice subi par le client était “la simple perte de ses chances de faire admettre que la skieuse était entièrement responsable des conséquences de l’accident” (Civ. 1ère, 10 juin 1986, CLUB MEDITERRANEE/COLOMBO, Bull. n° 163, P. 164). La réparation ne pouvait donc être que partielle.

Conclusion

L’obligation de sécurité, ainsi ramenée aux activités qui nous concernent, est ainsi très large, très contraignante, et si l’on ne peut l’intégrer dans la catégorie des “obligations de résultat”, puisque la responsabilité implique la preuve d’un manquement à l’une ou l’autre des règles de l’art, il faut évidemment constater que les Tribunaux apprécient avec une rigueur exemplaire la moindre légèreté fautive qui a pu causer un grave dommage corporel, voire la mort.

On parlera utilement d’une “quasi-obligation de résultat” en faveur de la sécurité des personnes, dont un organisateur ne peut s’exonérer que s’il est “blanc comme neige”, lui et ses cadres bénévoles. Au plan délictuel, cette quasi-obligation de résultat devient une norme ou une règle de l’art, dont la violation caractérise la faute.. Au regard des risques encourus par les participants, un organisateur doit offrir “toutes les mesures de sécurité humainement possibles”. C’est la formule de la Cour de Cassation. Peu importe à cet égard le bénévolat ou l’existence d’une relation marchande. La sécurité ne peut pas être un enjeu du caractère marchand de la relation. Quant à la sécurité des enfants ou des débutants, elle ne souffre guère de possibilités de discussion : L’encadrement doit garantir nécessairement leur sécurité corporelle, sauf les cas de force majeure.

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