L’Appel des cascades, chronique d’une aventure pyrénéenne (MENAGER Mickaël)
1 – Prologue : Prendre la décision fut relativement aisé, tous les feux étaient au vert. Enfin presque…
Photo : MENAGER Mickaël
L’ensemble des affaires à emporter est jonché au sol en un énorme tas : une corde de soixante mètres, une autre corde à équiper d’une douzaine de mètres, le perfo avec deux batteries, deux mèches et deux sacs étanches, douze gougons de dix millimètres et autant de plaquettes, quinze maillons, un marteau et une clé, le baudrier allégé avec seulement trois mousquetons et mon précieux valdotain, le matériel indispensable de réchap avec poignée et croll, le bas de combi et un K-Way pour le haut
Même si l’eau est froide, les bains ne devraient pas s’éterniser. En eau, un seul litre pour la montée, le ravitaillement sera réalisé au départ du canyon avec une pastille de purification. Contrairement aux habitudes, la nourriture a été réduite elle aussi en poids avec quelques barres de céréales et deux petits sandwichs. Pour le côté prévoyant, un sifflet, une couverture de survie, une frontale, un briquet et une petite pharmacie. Voilà, c’est là devant moi en vrac et je n’ose pas mettre tout cela dans le sac et le soupeser.
Et pourtant … Il va falloir monter ces vingt et un kilos sur 950 m de dénivelé..
2– La découverte ou les prémices de l’aventure : L’histoire a commencé depuis plus d’un an. Toujours en quête de nouvelles descentes, je furette sur les cartes et les vues satellites, à la recherche de trésors jusqu’alors inexplorés. Flirtant avec les hauteurs, je m’attache à examiner les affluents ou les parties supérieures. Les explorations des canyons en altitude sont restées bien souvent délaissées. Et contrairement à une certaine logique qui voudrait que ceux-ci soient plus creusés en aval et donc plus esthétiques, bon nombre d’ouvertures m’ont démontré le contraire, un bel exemple étant la partie supérieure d’Ossèse en Ariège. Autres facteurs à prendre en compte notamment : la nature de la roche et le paramètre verticalité. Un profil m’intéresse par son dénivelé et ses courbes, et la vue aérienne va s’avérer des plus inspirantes. Des cascades sont nettement visibles, également un chapelet de vasques d’un beau bleu. On peut aussi deviner ce qui semble être de petits encaissements mais difficile de pouvoir apprécier la profondeur depuis le ciel … La pente est elle aussi prometteuse avec 200 m de dénivelé pour 700 m de longueur. C’est alors le coup de cœur immédiat et il passe instantanément en tête de liste des priorités à explorer. Comme à son habitude, la question qui déjà me taraude : ouvert ou encore ignoré ?
Et un détail mais qui donne aussi à gamberger : au dessus d’un canyon existant appelé partie “supérieure”, on le nomme comment ?
3 – L’exploration : Ce mercredi 28 Juin, il s’agit de reconnaitre le canyon avec pour buts de découvrir la réalité du terrain, de vérifier s’il a déjà été ouvert et de préparer éventuellement une future sortie. Il est 6 h du matin lorsque la longue montée est abordée. Longeant le torrent tumultueux, je ne me fais aucune illusion quant à la faisabilité dans les prochains jours du canyon ciblé en amont. Les orages des dernières semaines ont grossi tous les cours d’eau du secteur et le bruit des cataractes est assourdissant. Cependant, de nombreux affluents bordent le rio et c’est toujours des litres en moins un peu plus haut. Après plus de deux heures d’effort, j’aperçois enfin l’objectif convoité et quelques cascades situées en contrebas. Cette perspective me donne déjà l’eau à la bouche. D’autant plus que je devine un passage étroit en amont. La tentation d’aller voir ces obstacles est forte mais je décide de rester fidèle à mon plan initial: partir de l’amont et longer le cours d’eau en descendant sur les côtés. Quinze minutes plus tard, en arrivant au point de départ, je suis agréablement surpris. Le débit n’est pas si élevé que présumé et l’accès au départ de la première cascade se révèle des plus facile. Il s’agit d’une grande rampe dont la longueur est évaluée à environ une cinquantaine de mètres. Le terrain est assez ouvert et la descente sur le bord me permet d’aller observer la cascade depuis le bas. Bel obstacle pour commencer !
Depuis les vues aériennes, la suite du canyon paraissait plus secrète et bien cachée. Et là aussi, par le truchement de passages escarpés, j’allais découvrir des cascades et des obstacles attrayants. Mais je ne voudrais pas, lecteur, te dévoiler l’intégralité du parcours à ce stade du récit. Donc après deux heures d’investigation, la dernière vasque est en vue et je réalise que j’ai topographié méticuleusement tout le canyon. Habituellement je préfère ne pas savoir à l’avance ou du moins laisser une part de découverte. Petit calcul, cela représente 14 rappels à équiper dont seulement 3 depuis des arbres. Donc 11 goujons à planter ! Les conditions de débit paraissent idéales pour en profiter pleinement et déjà l’impatience me guette…
Puis en redescendant, une étrange idée s’insinue et se répand jusqu’aux recoins les plus reculés de mon esprit : et si je tentais l’aventure en solo ?
4 – La décision – L’Appel des cascades.
Ir or no ir ? (y aller ou ne pas y aller?) . Il y a déjà eu quelques réalisations d’ouvertures de petits canyons en solitaire mais pas de cette envergure et surtout pas avec un tel accès. Les paramètres objectifs avec tout d’abord la raison : les bonnes conditions de débit, les rappels mesurant tous moins de trente mètres donc une corde de soixante mètres suffira, la présence de nombreux échappatoires limitant l’engagement, la nature de la roche facilitant la pose des points. Il y a aussi l’expérience passée avec une soixantaine de canyons ouverts sur l’année écoulée. Avant les explorations se faisait grâce à l’huile de coude et au tamponnoir. L’achat du perfo a grandement facilité la tâche et ces derniers mois, explorer est devenu une obsession. Finalement, hormis le fait d’y aller en solo et le poids, il n’y a pas d’autre facteur limitant. Et puis il y a le paramètre inexplicable, non objectif : l’intuition, l’instinct. Depuis plus de deux mois, j’ai sous les yeux en fond d’écran du smartphone une vue aérienne du canyon qui m’invite à la rêverie avec ses cascades et ses vasques. C’est alors comme une évidence. Mais bon afin de me disculper de je ne sais quelle faute d’ailleurs, et par acquis de conscience, j’appelle deux copains sans trop espérer. En effet, ils ne sont pas disponibles les prochains jours. J’envoie quand même une photo du tas d’affaires à Edu en lui expliquant la situation. Il me conseille logiquement vu le dénivelé de monter du matériel et me reposer un jour avant de repartir. Cependant la météo ne me laisse pas trop ce choix et réaliser trois fois la montée de près de mille mètres ne m’inspire pas beaucoup. Mais pourquoi ne pas avoir transporté et laissé du poids là-haut aujourd’hui ? Arghhhhhhhh si j’avais su …
Etant donné qu’attendre une semaine ou deux sera plus que difficile pour mon neurone impatient, que les conditions de débit sont idéales et que la suite sera moins prévisible … Voilà, c’est fait, défi relevé !
5 – Les préparatifs
Première étape : préparer le matériel et le sac et évaluer la faisabilité du portage … Mais bon cela vous le savez déjà depuis le prologue de cette histoire. Deuxième étape en ligne de mire : l’assistance en cas de besoin pour éventuellement appeler les secours. C’est Matthieu qui fera l’ange gardien et qui est maintenant en possession de la topo dessinée depuis les bords. Il est convenu de déclencher les secours à partir de 18 h. Troisième étape : se coucher tôt et dormirrrr car la journée sera longue demain. Mais bon après trois heures de sommeil, mon neurone en a décidé autrement : réveil précoce à une heure du matin. Rapidement le cerveau s’agite et une obsession tourne en boucle : le poids du sac et l’effort à fournir pour le monter. Arriver là haut est une chose, y parvenir en forme est une nécessité absolue. Finalement, j’ai tout pesé la veille au soir les affaires une par une et ma calculette m’a annoncé le nombre horrifique de 21 kg. Refaire de nouveau près de mille mètres de dénivelé sans jour de repos et cette fois-ci avec ce poids… Cette incessante cogitation nocturne va au moins s’avérer utile sur un point. Une ébauche de solution se dessine alors : répartir le poids et en disposer sur l’avant au niveau des bretelles du sac. A quatre heures du matin, le sommeil ne viendra plus. La décision est prise de partir plus tôt que prévu.
6 – Le jour J
Il est un peu plus de 6 h du matin lorsque je gare la voiture et les premières lueurs du jour commencent à éclairer l’horizon. Le temps de vérifier une dernière fois le matériel et d’installer du poids sur l’avant des bretelles du sac, j’attaque la montée. J’ai opté de nouveau pour mes bâtons télescopiques de randonnée qui seront laissés en bas du canyon. C’est surtout les genoux qui m’inquiètent pour la descente avec un tel poids. Si tout va bien, 2,5 kg de goujons, plaquettes, corde et maillons seront abandonnés dans le canyon mais la corde de 60 m et la combi néoprène seront chargées d’eau … Ce matin, le ciel est maussade et chargé de nuages. Cela ne me rassure pas mais la météo annonce des orages pour la fin de l’après-midi. C’est surtout l’esthétisme de la descente qui risque d’en souffrir. Du coin de l’œil, je surveille l’heure et surtout le cardio-fréquencemètre. Les battements du cœur ont tendance à rapidement s’emballer avec un tel poids sur le dos. En tout cas, répartir du matériel sur l’avant semble s’avérer une stratégie payante, car mes trapèzes me laissent relativement tranquille, contrairement à mes craintes initiales. A présent, toute mon attention est focalisée sur l’effort et la gestion primordiale de l’énergie. Après quelques minutes de pause pour m’hydrater et avaler une barre de céréales, je reprends ma progression dans la pente. Malgré un rythme plus lent qu’à l’habitude, le dénivelé est avalé assez rapidement et le bas du canyon est en vue. Cachés sous des arbustes, les bâtons m’attendront au retour. A partir d’ici, il ne me reste que deux cent mètres de dénivelé, mais cette dernière montée s’annonce comme la plus difficile. Il me faut gérer l’effort et la respiration pour ne pas monter trop vite dans les tours. Une demi-heure plus tard, le point de départ de mon périple canyonesque est enfin atteint.
Les préparatifs, minutieusement soignés, annoncent le début de l’assaut de la descente. Pour débuter cette aventure, quelques modestes vasques semblent m’inviter. L’eau, d’une fraîcheur saisissante, me dissuade de m’y aventurer, d’autant plus que je n’ai pas de veste néoprène pour me protéger, me contentant de mon k-way. N’ayant plus de place dans le sac, mon kit boule, pendu à mon baudrier et rempli de la corde, entrave mes mouvements et me gêne dans mes déplacements. Ce détail ajoute une contrainte supplémentaire à l’exploration et avec le sol glissant, il m’est impossible d’éviter une baignade involontaire. 50 m plus loin, m’attend la première cascade et le perfo est rapidement à l’œuvre. Cet équipement dans les schistes va demander plus de travail que prévu et m’oblige à casser à coups de marteau des arêtes qui pourraient abimer mon unique corde. Enfin, j’y suis ! Et la rampe est aussitôt dévalée sur une trentaine de mètres. Arrivé sur un seuil en bout de corde, il me faut ressortir le perfo sous les embruns pour placer un deuxième relais et terminer la descente de cette belle cascade. Petite zone de transition et j’aborde le troisième rappel depuis un frêle sapin. En bas, m’attend un ressaut de deux mètres à désescalader et l’obstacle glissant est descendu sans compter une certaine dose de maladresse, m’étalant de tout mon long dans la vasque. Le rappel suivant franchit une vasque suspendue qui parait profonde. Et là, impossible de ne pas me tremper. Tout d’abord sur la pointe des pieds puis finalement par une brasse, j’arrive au seuil de la deuxième cascade. C’est ensuite le moment de profiter d’une petite pause pour capturer l’esthétisme du lieu. Depuis ce matin, le soleil joue à cache-cache avec les nuages et lorsqu’il apparait sa présence à tendance à me rassurer. Je songe alors quelques instants à mon “héliodépendance”. Mais bon, on remettra à plus tard cette “profonde” analyse car un rapide coup d’œil à l’horaire me ramène à la réalité de cette entreprise : cela n’avance pas aussi vite que prévu. Quatre rappels en une heure trente et je n’ai parcouru que le premier tronçon ! Mais il faut équiper, descendre, rappeler et enkiter la corde, topographier et photographier… Il reste dix rappels et le temps pourrait me manquer, d’autant plus qu’il est convenu de déclencher les secours en fin d’après-midi. Reprenant la progression, quelques rampes me conduisent au début du second tronçon tant attendu…
La suite et la fin de ce récit sont en cours de rédaction. Il paraitra plus tard ainsi que la topo dans un topoguide. En attendant, courageux lecteurs qui êtes arrivés jusqu’ici, il est temps de vous montrer une vidéo de cette aventure. Et pour ceux qui penseraient que peut-être je suis fou, je leur répondrais : Possibly.
https://youtu.be/05kgcSD_x6o
Texte et photos : MENAGER Mickaël
Source de l’article : Voir l’article publié sur descente-canyon.com
Voir également le topoguide réalisé par MENAGER Mickaël :
Sauvages et isolés, certains canyons au fond des vallées Ariégeoises n’ont dévoilé leurs secrets et leurs beautés que ces dernières années. Ce livre vous propose de sortir des sentiers battus pour aller à la rencontre du Haut-Couserans, terre jusqu’alors peu parcourue en matière de canyonisme. Inédites, une vingtaine de descentes y sont décrites à travers des topographies, des textes, des cartes et de nombreuses photos.
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